Mon corps est une parabole. À l’intérieur de cet étranger auquel je n’avais songé que dans ses manifestations les plus liberticides, j’y vois des frontières dressés contre mon gré, des frontières inaliénables, les frontières de mon moi et de ma capacité d’agir. Dans ce corps malade contre lequel je ne peux rien, je me résigne, et j’accepte : j’accepte que le monde d’hier ne sera plus jamais celui de demain. J’accepte que ce qu’il m’était encore hier possible de faire au nom d’un imaginaire erroné qui me faisait croire à notre infinie liberté, infinie et indéfectible, à laquelle d’ailleurs je ne songeais jamais, j’accepte que ce qu’il m’était possible de faire s’est arrêté aux frontières de mon inconséquence. Je suis à présent murée dans ce corps qui ne répond plus de ma volonté, des barricades se sont dressées, on en a changé la constitution, et son article premier ne mentionne en aucun cas mon immunité.
Mon corps est une parabole. Il me contraint aujourd’hui à l’acceptation de la finitude. Il me contraint à contempler une nouvelle réalité, proprement biologique : je ne peux pas en dépasser les limites. J’entends courir le bruit du monde qui glisse dorénavant sur moi, j’entends son immédiateté, j’entends que je devrais faire plus. Mais que voulez-vous, je suis arrimée à ma chair. C’est une question de vie ou de mort. J’ai choisi de vivre, j’ai choisi d’en chier. Devant l’accélérateur incessant qu’on presse pour produire plus, je rigole doucement, parce qu’un beau jour, nos corps à tous ne seront que paraboles, chair à rien sinon à se plaindre, chair à chier, à se chier dessus, tous renvoyés à la bassesse de notre condition-parabole.
*Dora Maar, Étude de nu – Femme assise de dos, 1930